Des rapports contre nature

Cette expression est issue du premier chapitre de la lettre aux Romains de saint Paul. Avant de le découvrir, il est à noter que les conduites homosexuelles semblaient fréquentes à cette époque. Xavier Thévenot souligne même qu’elles étaient non seulement pratiquées, mais justifiées. « La liberté sexuelle dans certaines villes étaient d’ailleurs fort grande. La ville de Corinthe par exemple avait fini par être associée dans le langage à la débauche sexuelle » [1]

C’est d’ailleurs de Corinthe que Paul écrit sa lettre aux Romains. Dans les premiers chapitres de cette lettre, Paul traite de la colère de Dieu face à l’ensemble de l’humanité. L’humanité est pécheresse et seule la grâce sauve par la foi en Jésus-Christ.

L’expression « rapports contre nature », aux versets 26 et 27 du chapitre 1, se situe dans un passage où Paul invective les païens, qui connaissant Dieu, n’ont pas d’excuses de n’avoir pas rendu la gloire qui revient à Dieu, se laissant aller à de vains raisonnements et leur cœur est devenu la proie des ténèbres (verset 21) « Se prétendant sages, ils sont devenus fous ; ils ont troqué la gloire du Dieu incorruptible contre des images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles» (verset 23). Il reprend le thème du livre de la Sagesse aux chapitres 13 et 14 sur le culte des idoles lié à l’incapacité des hommes de reconnaître leur Créateur. Cette idolâtrie a pour Paul des conséquences qu’il précise dans les versets 26 et 27 : « «C’est pourquoi Dieu les a livrés, par les convoitises de leurs cœurs, à l’impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps. Ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen. C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre-nature ; les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement »

Si Paul réprouve les actes homosexuels dans ce passage, note Xavier Thévenot, c’est parce qu’ils sont contraires aux récits de la Création « où la sagesse du Créateur détermine seule le sens de l’ordre des réalités humaines. »[2] L’inversion sexuelle est jugée inversion idolâtrique.

Paul se situe sur un plan anthropologique biblique conforme aux récits de la création. La pratique homosexuelle est méconnaissance du rapport homme-femme, méconnaissance de la loi de Dieu qui entraîne la méconnaissance de la différence sexuelle. « L’humanité ne peut se structurer dans ses différences fondatrices que s’il y a soumission d’amour à la Parole de l’Autre qui est le “Dieu incorruptible”. […] Il veut faire comprendre que le monde ne peut prendre une bonne direction que s’il reconnaît son Créateur et son Maître. Paul, pour ainsi dire, dégage une loi structurale de l’édification de l’humanité. Il n’est donc pas question, à la suite de la lecture de Romains, ni d’affirmer que l’homosexualité n’est qu’une simple variation de la sexualité ayant même valeur anthropologique que l’hétérosexualité, ni de dire que chaque homosexuel est un “idolâtre” »[3]. »

Le mot « échangé » employé par Paul signifie, au regard d’autres textes, que l’on a renoncé au culte du vrai Dieu pour un culte des idoles et des créatures.

Quant à Daniel Helminak, théologien et psychanalyste, il analyse longuement, à travers de nombreux exemples, comment le mot « contre-nature » est employé par Paul pour désigner ce qui est atypique, ce qui sort de l’ordinaire. Ainsi, dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 11,14, Paul écrit : « la nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux longs ? »

Daniel Helminiak poursuit : « Pour Paul, une chose est naturelle lorsqu’elle répond aux caractéristiques de sa catégorie, lorsqu’elle se présente telle qu’on s’y attend. Pour Paul, le terme naturel ne signifie pas «en accord avec les lois universelles » mais plutôt ce qui est typique, constant, ordinaire, normal, prévisible et régulier. Lorsque les gens se comportent comme on s’y attend et montrent une certaine constance, ils agissent naturellement. Lorsque les gens font quelque chose de surprenant, d’inhabituel, qui sort de la routine, qui échappe à la norme, ils agissent de façon contre naturelle. Voilà le sens qu’avait le mot nature pour Paul ».[4]

Pour mettre un terme à cette brève analyse de ce passage de la lettre aux Romains, il est clair que Xavier Thévenot et Daniel Helminiak sont unanimes sur le fait que ces versets ne s’appliquent pas à la notion contemporaine de l’homosexualité, à savoir une relation sexuelle amoureuse dégagée d’une quelconque conformité rituelle ou d’un culte des idoles. Paul n’aborde tout simplement pas cette question en tant que telle.

Deux mots controversés

Il s’agit de deux mots grecs –malakoi et arsenokoitai – qui se situent dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 6,9) et dans la première lettre à Timothée (1 Tm 1, 10) du Nouveau Testament. Ils sont également cités à propos de l’homosexualité. Pourtant leur traduction varie selon les interprétations. Le mot malakoi est souvent traduit par « efféminé » et exprime une idée de mollesse. Quant au mot arsenokoitai, sa traduction est très controversée. Son sens littéral semble être « homme couchant avec un homme » ou, plus crûment, « homme pénétrant ». On le traduit parfois par pédéraste. Au-delà des différentes traductions, ces passages dressent une liste de péchés de comportements injustes qui semblaient courants dans l’empire romain du 1er siècle. Ce sont les abus des comportements sexuels qui sont dénoncés ici : libertinage, luxure et irresponsabilité, note Daniel Helminiak.

Xavier Thévenot fait remarquer que si ces termes sont parfois rendus par les mots d’ « efféminés » ou d’ « invertis », un certain nombre d’exégètes affirment que ce sont là des traductions indues. Selon eux, il n’y a rien qui justifie l’application spécifique de malakoi à l’homosexualité ; de même arsenokotaï ne s’applique sans doute pas à un comportement homosexuel en général.

Dans le foisonnement des livres de la Bible, seuls quelques récits ou versets évoquent des pratiques homogénitales. A moins d’en faire une lecture fondamentaliste ou littérale, ce que l’Église catholique a toujours rejeté, on ne peut tirer une généralité, ou pire une idéologie, de ces versets bibliques. Ils sont très situés dans des contextes liés à l’impureté rituelle, à l’appartenance religieuse ou à l’idolâtrie. Nous pouvons donc conclure qu’à travers ces versets, la Bible ne dit pas ce que certains voudraient lui faire exprimer, à savoir la condamnation de l’homosexualité telle qu’elle est vécue aujourd’hui.

Dans le sens contraire, quelques autres textes sont parfois mis en valeur pour exprimer une opinion positive sur l’homosexualité. Ce sont les récits de David et Jonathan (1 Samuel 18 et ss), de Ruth et Noëmi (Ruth 1,16-17), de la guérison par Jésus du jeune esclave du centurion romain (Matthieu 8,5-13 et Luc 7,1-10). Mais les difficultés d’interprétation soulignées par les exégètes sont telles, qu’il est difficile aujourd’hui d’en tirer des conclusions en ce sens.

Extraits de Claude Besson, Homosexuels catholiques, sortir de l’impasse, Paris, Editions de l’Atelier, 2012, p 78 et ss


[1] Xavier Thévenot, Homosexualité masculines et morale chrétienne, Paris, Le Cerf, 1985, p. 225

[2] idem, p.226

[3] Idem p.228, 229.

[4] Daniel Helminiak, Ce que la Bible dit vraiment de l’homosexualité, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2005, p.113.

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